Source : Ville de Montréal, 2021
Source : Ville de Montréal, 2021

Place à la relève! – Cultiver l’équité : défis et opportunités pour l’inclusion des Afrodescendant·e·s dans l’agriculture urbaine de Montréal

Par Caroline Flory-Celini, étudiante au doctorat en études urbaines (INRS)

L’agriculture urbaine au prisme de l’équité raciale

À Montréal, l’agriculture urbaine (AU) est souvent présentée comme une solution innovante aux défis écologiques et alimentaires contemporains. Cette narration ne rend pas toujours justice à la diversité des expériences, notamment celles des communautés afrodescendantes, pourtant fortement exposées à l’insécurité alimentaire. J’interroge ici les dynamiques d’inclusion et d’exclusion des Afrodescendant·e·s dans les espaces agricoles urbains de Tiohtiá:ke/Montréal, à partir d’un cadre analytique centré sur les Black Geographies.

Une méthodologie sensible et enracinée

Ancrée dans une posture constructiviste, la démarche adopte une méthodologie qualitative combinant entretiens semi-dirigés, observations participantes et analyse de contenu avec MAXQDA (2022). Trente-huit entrevues et deux groupes de discussion ont été menés entre 2022 et 2024 auprès de personnes afrodescendantes engagées (ou non) dans l’AU.

Dynamiques d’exclusion et géographies du vide

J’ai demandé aux participant·e·s ce qu’ils pensaient de la première page du document sur l’agriculture urbaine de Montréal. Sur cette page, on voit une jeune femme noire souriante qui tient un panier de légumes. Une des personnes participantes a alors critiqué ce choix d’image. À son avis, cette image donne l’impression qu’on veut montrer de la diversité juste pour bien paraître, sans vraiment s’engager à changer les choses pour les personnes concernées. On appellerait cela la « diversité libérale », quand on met en avant des personnes issues de la diversité dans des images ou des discours, mais sans que cela ait un réel impact sur l’égalité ou l’inclusion dans la réalité : « On reconnaît tout à fait la facture visuelle de la diversité libérale, c’est-à-dire que bon, on va chercher, on va saupoudrer la diversité dans les choses qui normalement, a priori, ne prêtent pas à croire qu’on va ébranler le statu quo… Et non seulement ça, cette poursuite effrénée, parce que ce que je vois ici, pour moi, c’est moins, c’est le bonheur d’être une exception. »

Cette vitrine inclusive masque d’importantes disparités spatiales : les quartiers de Saint‑Michel et de l’est de Montréal‑Nord, où réside une forte proportion de personnes afrodescendantes, comptent nettement moins de projets d’AU que le centre‑ville. Pourtant, l’Indice municipal d’équité des milieux de vie est censé prioriser ces secteurs. Cette répartition inégale se double d’autres barrières : stigmatisation territoriale, difficultés d’accès au foncier, manque de ressources adaptées et racisme systémique latent. Autant de facteurs qui transforment les « géographies du vide » en espaces d’exclusion, malgré une demande et un potentiel communautaire bien réels.

Afro‑ensemenceur·se·s : résistances et pratiques alternatives

Malgré les multiples barrières structurelles, plusieurs initiatives menées par des personnes afrodescendantes reconfigurent les marges urbaines en véritables espaces de réinvention sociale et culturelle. L’Espace jeunesse en marche, situé à Saint-Michel, mobilise l’agriculture comme levier d’inclusion, de développement des jeunes et de guérison communautaire. Hamidou Horticulture et le programme DESTA proposent des stratégies de souveraineté alimentaire fondées sur des savoirs africains, caribéens et diasporiques. La Coopérative Sankofa – créée par des étudiant·e·s de Concordia – illustre également cette dynamique en réunissant les jeunesses noires et autochtones autour d’un projet agroécologique qui valorise le soin, la solidarité et l’autodétermination. À travers ces initiatives, les Afro‑ensemenceur·se·s ne se contentent pas de cultiver des potagers : ils et elles cultivent des espaces de dignité, de mémoire et de transformation en redonnant corps et voix à des récits trop souvent marginalisés dans les politiques alimentaires et environnementales dominantes. Les trajectoires figuratives s’expriment à travers les récits, les gestes agricoles, les créations artistiques et les formes symboliques qui permettent aux Afrodescendant·e·s de reconfigurer leur rapport à la terre, à la ville et à l’histoire. Ces narrations – qu’elles émergent de la mémoire familiale, des savoirs agricoles transmis ou de pratiques culturelles – contribuent à défaire les imaginaires urbains qui invisibilisent ou folklorisent leur présence dans les espaces nourriciers. Les trajectoires philosophiques, quant à elles, s’enracinent dans des visions du monde qui valorisent l’interdépendance, la mémoire, la spiritualité et la justice sociale. Des personnes ou des groupes apportent de nouvelles façons de penser et de comprendre le monde, différentes de celles que l’on a l’habitude de voir. Ces idées nouvelles influencent la manière dont ces communautés font de l’agriculture et vivent ensemble. Souvent, elles s’inspirent des principes du Sankofa – retourner aux savoirs du passé pour bâtir un avenir enraciné – et de l’Ubuntu – « Je suis parce que nous sommes ». Ces trajectoires permettent de concevoir l’agriculture urbaine non plus uniquement comme une réponse technique à l’insécurité alimentaire, mais comme un acte politique de réappropriation de l’espace, de soin collectif et de transmission intergénérationnelle.

Pour une gouvernance nourricière et équitable

Cette étude met en évidence les limites persistantes de la gouvernance alimentaire à Montréal, encore trop éloignée des réalités vécues par les communautés afrodescendantes. Malgré des discours inclusifs, les cadres d’intervention actuels peinent à reconnaître les savoirs issus des trajectoires diasporiques et à soutenir des formes d’engagement communautaire enracinées dans des traditions et besoins spécifiques. Pour tendre vers une gouvernance véritablement inclusive, il ne suffit pas d’ajouter des représentations symboliques de la diversité. Comme le souligne un·e participant·e, la mise en scène d’une diversité conforme au statu quo constitue une forme d’intégration conditionnelle et neutralisée. Il est donc nécessaire de repenser les logiques d’inclusion afin de reconnaître la pluralité des rapports à la terre, à l’alimentation et au soin. Cette réflexion rejoint les appels de plusieurs membres de la communauté scientifique à construire des politiques alimentaires plus justes et ancrées dans les dynamiques locales. Cela implique de soutenir des modèles entrepreneuriaux et communautaires adaptés, de renforcer les partenariats, d’assurer l’accès équitable aux ressources foncières et techniques et d’intégrer les expériences racialisées au cœur des dispositifs décisionnels.

Conclusion : cultiver à partir de nos racines

L’agriculture urbaine, lorsqu’elle est réinvestie par les Afro‑Montréalais·es, cesse d’être une simple pratique de production alimentaire : elle devient un levier de souveraineté et de transformation urbaine. En cultivant des terres souvent marginalisées, les Afro‑ensemenceur·se·s transforment les vides institutionnels en géographies de Vie – des lieux où mémoire, soin collectif et autonomie se conjuguent. Leurs potagers tissent un récit qui relie passé diasporique, luttes présentes et avenirs désirables, réaffirmant ainsi un droit à la ville fondé sur la dignité et la justice raciale.