Crédits photo : Kissarli, 2025
Crédits photo : Kissarli, 2025

Place à la relève! – La ville nouvelle d’Ali Mendjeli : un problème ou une solution pour la ville de Constantine?

Par Dorhane Malim, diplômée du doctorat en études urbaines (INRS)

Présentation et mise en contexte 

Derrière chaque expérience de relogement se cache une histoire faite de raisons, de conséquences, de souvenirs et de reconstructions. Ces différents aspects sont souvent peu pris en compte dans les grandes politiques urbaines, alors qu’elles révèlent des impacts humains bien réels. C’est dans cette perspective que s’inscrit ma recherche, menée à Constantine, une ville située à l’est de l’Algérie. Réputée pour son patrimoine architectural et ses quartiers anciens suspendus au-dessus des gorges du Rhumel, Constantine fait face depuis plusieurs années à de nombreux problèmes : dégradation du bâti, insalubrité, problème d’assainissement, glissements de terrain et surpeuplement.

En réponse à ces défis, les autorités ont engagé la création de la ville nouvelle d’Ali Mendjeli. Évoquée dès 1975, elle commence à accueillir ses premiers occupant·e·s en 1999, alors même qu’elle est encore en état de chantier. Son peuplement s’est déroulé au rythme de plusieurs vagues de relogement. Parallèlement, elle a rapidement suscité des critiques, tant sur sa composition architecturale et urbanistique que sur les tensions émergentes dans son espace public.

Pourtant, la littérature souligne qu’un relogement ne se résume pas à un simple changement de lieu de vie. Le lien entre l’individu et son environnement est plus profond. Il englobe différentes dimensions qui peuvent être à l’origine de territorialités ou influencer celles-ci, à noter la mémoire des lieux, les représentations spatiales, l’attachement au lieu. Ces aspects, pourtant essentiels, sont souvent mis de côté dans les projets de relogement, comme on peut l’observer dans le cas d’Ali Mendjeli.

Face à ces constats, ma recherche doctorale explore comment la mémoire de l’ancien lieu de vie, la ville-centre de Constantine, influence le rapport des habitant·e·s à la ville nouvelle d’Ali Mendjeli et leurs pratiques sociales. Plus précisément, j’ai cherché à saisir la mémoire que gardent les habitant·e·s de leurs anciens quartiers, à analyser leurs représentations de la ville nouvelle, puis à comprendre comment l’éventuel décalage entre les deux peut teinter leur expérience de la ville nouvelle.

Méthodologie

Ma recherche s’appuie sur une approche qualitative combinant plusieurs méthodes pour recueillir des données. Tout d’abord, j’ai effectué un préterrain en juillet 2019, principalement pour une analyse documentaire, afin de mieux comprendre le contexte, les opérations de relocalisation et la réalité des deux lieux concernés étudiés : la ville-centre de Constantine et la ville nouvelle d’Ali Mendjeli. Ensuite, entre janvier et avril 2022, j’ai mené 46 entretiens semi-dirigés avec des habitant·e·s de neuf quartiers de la ville-centre de Constantine qui ont été relogés par l’État. J’ai complété ces entrevues par une prise de photos pour mieux illustrer les propos recueillis.

Comme les entretiens ont eu lieu en arabe, les données collectées ont été enregistrées, puis transcrites et traduites en français. L’analyse s’est organisée autour des trois concepts principaux, suivant l’ordre des questions de mes grilles d’entretien : la période avant le relogement, le temps du relogement et les années qui ont suivi.

Résultats

L’analyse a permis de faire émerger trois résultats majeurs. Le premier concerne les conditions de vie des habitant·e·s avant le relogement, marquées par de nombreux problèmes : vétusté et ruine des bâtisses à Souika et à la Casbah, risques de glissements de terrain dans plusieurs quartiers, habitats informels au Faubourg Lamy et à Bardo. L’étroitesse des logements, souvent limités à une seule chambre partagée entre plusieurs personnes, est également soulignée. Malgré cela se dégage un fort sentiment d’appartenance à la ville-centre de Constantine et aux quartiers d’origine, tandis que l’attachement à l’espace domestique reste faible, pour la majorité des répondant·e·s. Ce lien à la ville-centre est renforcé par des pratiques sociales ancrées et significatives.

Le deuxième résultat met en lumière les difficultés rencontrées lors de l’installation à Ali Mendjeli. Le relogement s’est déroulé par vagues, selon différentes modalités de répartition. À leur arrivée, les habitant·e·s ont découvert une ville incomplète, souvent qualifiée de « désert », avec peu d’équipements, d’infrastructures ou de transports. Si l’appartement représentait souvent une source de satisfaction, l’environnement urbain autour a provoqué un sentiment de mécontentement, particulièrement chez les personnes relogées avant 2015. Ces conditions difficiles ont renforcé l’attachement à l’ancien lieu de vie, particulièrement chez les hommes, qui le manifestaient par des visites quotidiennes aux anciens quartiers. Par ailleurs, ce changement a transformé certaines pratiques spatiales et sociales, notamment les liens de voisinage et les déplacements. L’absence de quartier, remplacé par l’unité de voisinage, a aussi contribué à la perte des repères sociaux et spatiaux ancrés dans les quartiers à l’ancienne ville.

Le troisième résultat analyse l’évolution des personnes relogées après leur installation à Ali Mendjeli, après plusieurs années. Il met en évidence un lien d’attachement aux anciens quartiers qui s’est progressivement estompé avec le temps, laissant place à une meilleure appropriation des différents espaces dans la ville nouvelle. Ce processus a été facilité par l’évolution même d’Ali Mendjeli, désormais mieux équipée avec des transports en commun, dont un tramway, une meilleure cohabitation entre les habitant·e·s, ainsi que la présence des différentes infrastructures et de nombreux centres commerciaux. Parallèlement, la dégradation des anciens quartiers et la transformation de leur tissu social ont modifié les ambiances urbaines, jusque-là si appréciées, ce qui a contribué à affaiblir l’attachement à ces lieux et à renforcer l’intégration à la ville nouvelle.

Conclusion 

Ma recherche révèle que l’influence de la mémoire et de l’attachement au lieu dans le processus d’appropriation est temporaire et partielle. Si ces éléments participent à l’identité des habitant·e·s, ils perdent en importance face à la nécessité d’avoir un logement décent. La ville nouvelle d’Ali Mendjeli s’est imposée comme une solution indispensable pour remédier aux problèmes de Constantine. Cependant, une meilleure préparation du relogement, avec une ville bien équipée et une implication accrue des personnes qui y vivent, aurait facilité l’acceptation et réduit les difficultés.