Manifestation à l’Aéroport JFK (NY). Crédit photo : Rhododendrites (2018)

La crise de la réception des réfugiés en Europe : polarisation des opinions et mobilisations de la société civile

Conférence de Andrea Rea, sociologue à l’Université Libre de Bruxelles

Par Léa Dallemane, en collaboration avec Jeanne LaRoche, étudiantes à la maîtrise en études urbaines (INRS)

Ces dernières années, les pays européens se sont affrontés autour d’un sujet polémique : l’accueil des réfugié.e.s bloqué.e.s à leurs portes. En témoignent L’Aquarius, le Life line, le Sea-Watch : tous des bateaux humanitaires malmenés par différents États européens qui refusent l’arrivée de ces réfugiés aux côtes de leur pays. Ils argumentent notamment que le pays voisin est le plus proche, et ainsi le plus adapté pour laisser accoster le navire sur son territoire, se renvoyant la balle tour à tour. Mais le fond du débat, devenu médiatique, semble plutôt symptomatique de « La crise de l’accueil des réfugiés en Europe ». En spécialiste du sujet, Andrea Rea est venu alimenter les discussions des Midis de l’immigration* de l’INRS, ce jeudi 10 octobre 2019. Quelles opinions se sont polarisées autour de cette crise ? Quelles mobilisations civiles ont émergé ? Appuyé par les résultats de ses recherches, le sociologue de l’Université Libre de Bruxelles présente ses réflexions extraites d’un ouvrage collectif à paraître intitulé The Refugee Reception Crisis in Europe. Polarized Opinions and Mobilizations.

« Refugees Welcome » or not ? L’opinion en deux pôles.

Sur la base d’une enquête quantitative puis qualitative menée pendant 18 mois en Belgique,  Rea a étudié la polarisation des opinions autour de l’accueil des réfugiés. À ce qu’il surnomme « les vieux cadres théoriques », il ajoute un nouvel élément : la menace culturelle sur fond de crise identitaire, nourrie par la pseudo-théorie du «Grand remplacement» (Camus). Depuis 2015, l’immigration devient le premier sujet d’inquiétude pour les Européen.e.s, tout particulièrement dans les pays de l’Est qui n’ont pourtant pas connu de vagues d’immigration fortes comme à l’Ouest. Statistiques à l’appui, Rea nous convainc que la compétition économique ne suffit pas à expliquer l’état de l’opinion. Il faut plutôt regarder du côté de l’offre politique et médiatique. Les attitudes hostiles à l’immigration ne sont pas les manifestations d’une demande, mais plutôt la réponse à une offre populiste qui active le discours hostile. Lors de la discussion, Rea critique le manque de clarté dans les données qui sont communiquées par des agences censées être fiables comme Frontex, qui a présenté des chiffres à doubles comptages repris sur Twitter.[1]

 

La mobilisation civile, entre « activistes » et « citoyens ordinaires »

Catherine Xhardez, post-doctorante de l’université Concordia et membre de l’ERIQA, interroge Rea : « à l’intérieur de ce mouvement, n’y a-t-il pas des oppositions sur le statut de ces immigrants ? » Pour le sociologue, il s’agit là justement du point sensible, qui permet de semer la discorde dans le mouvement même. La question de la régularisation des sans-papiers divise, c’est même sûrement ce débat qui a causé l’effondrement du mouvement selon lui. Une autre personne dans la salle se demande si l’action de ces citoyen.ne.s humanitaires n’est pas la manifestation d’un autre rapport au politique ? Des interventions viennent alors s’opposer à cette idée, soulignant qu’il s’agit davantage d’une perspective morale appuyée sur la recherche de lien social.Qu’elle soit bloquée en méditerranée ou dans les camps aux portes de l’Europe, l’arrivée des demandeurs d’asile suscite une mobilisation citoyenne.  Composée d’un côté de personnes militantes, et de l’autre de « non-activistes », que Rea nomme avec précaution des « citoyens ordinaires ». Grâce à l’étude de la solidarité organisée dans le parc Maximilien de Bruxelles, il dresse le portrait de ces « citoyens ordinaires », sans expériences antérieures ou  socialisation à l’activisme. Pour ces humanitaires, « ce n’est pas la définition politique qui prime », ils montrent même une réticence face à toute forme d’organisation susceptible de récupérer leurs gestes. Toutefois, Rea n’exclut pas que ces expériences solidaires puissent réveiller une certaine politisation. Ces citoyen.ne.s sont souvent des femmes, des familles vivant dans le périurbain.

Le Parc Maximilien à Bruxelles. Crédit photo : Tram Bruxelles (2019)

Quel rôle pour nos villes ?

Les travaux de Rea révèlent l’importance de la morphologie urbaine : les situations de rencontre entre volontaires et réfugiés avaient lieu dans des espaces de transit comme les gares, où les contrôles sont moindres, mais aussi dans des espaces boisés ou des espaces administratifs comme l’Office des Étrangers à Bruxelles. Il souligne ainsi l’importance de la topographie même des villes!

De son côté, une participante au Midi souligne le rôle politique des villes, qui, comme le soutiendra aussi Rea, peuvent s’organiser contre les politiques en cause particulièrement en contexte  fédéral.

C’est peut-être à notre tour de mettre la ville en lumière en étudiant l’accueil des personnes réfugiées, en Europe ou ailleurs.

[1] Identité culturelle, immigration, mythes, clarté des données et offre politique sont aussi des sujets discutés lors du dernier Midi sur les mythes de l’immigration.

Écouter l’entrevue avec Andrea Rea, par Catherine Paquette (étudiante à la maîtrise en études urbaine (INRS)

 

* Les Midis de l’immigration de l’INRS-UCS donnent lieu à des échanges conviviaux et informels entre collègues, étudiants et professeurs, sur les thématiques des migrations internationales, du transnationalisme, de l’accueil et de l’établissement des personnes issues de l’immigration. Depuis 2016, cette initiative étudiante permet de réaliser six rencontres par année, trois à l’automne, trois à l’hiver.