Minha casa minha vida, Antonio Cardoso. Photo de Paulo Medford 2015,

Minha casa minha vida, Antonio Cardoso. Photo de Paulo Medford 2015,

Capsule thématique

Le logement social au Brésil

Auteur : João Carlos Monteiro* (décembre 2016)

 

Introduction

En 2014, le déficit du logement au Brésil montait à plus de 6 millions d’unités. Ce n’est pas par hasard qu’un des symboles les plus répandus du pays à l’étranger soit les favelas. Ce regroupement d’habitations précaires est la solution d’hébergement trouvée par les populations à faibles revenus et incarne la crise du logement au pays. Elles sont l’expression des inégalités de cette société, de son passé esclavagiste et du mépris du cadre juridique qui, pourtant, assure le droit au logement adéquat pour tous. Bien que le problème du logement tire ses origines au début du XXe siècle, c’est seulement à partir des années 1940 que l’État brésilien reconnaît son obligation d’y remédier. Différents programmes et multiples politiques furent mis en place par les trois paliers de gouvernement avec la promesse de combler cette demande. Toutefois, ces initiatives s’avèrent insuffisantes et leurs résultats peuvent être parfois contradictoires à l’objectif annoncé d’atténuer ce déficit.

Cortiço. Photo de Paulo Araujo, Agencia O Dia.

Cortiço. Photo de Paulo Araujo, Agencia O Dia.

Les origines du logement social au Brésil

La question du logement émerge au Brésil à la fin du XIXe siècle dans un contexte d’industrialisation et de croissance démographique de ses principales villes. Notamment à Rio de Janeiro et à São Paulo, l’arrivée d’une population issue de l’immigration internationale et de l’exode rural fait gonfler la demande pour logement. Les cortiços sont un type d’habitation par excellence pour les ménages à faibles revenus durant cette période. Ce sont des maisons collectives subdivisées avec plusieurs chambres et louées à de multiples familles, qui partagent la cuisine, la salle de bain et l’espace de lavage. La précarité, le surpeuplement et l’insalubrité des cortiços furent les cibles de plusieurs réglementations et interventions urbaines à l’époque. Au début du XXe siècle, l’interdiction de construction de ce type d’habitation et leur démolition systématique par le pouvoir public ont aggravé la crise en délaissant un grand nombre de familles à faibles revenus sans autres alternatives d’hébergement. Ce n’est pas une coïncidence qu’à cette époque on voit surgir, à Rio de Janeiro, les premières favelas (Abreu, 2006 ; Vaz, 1994).

C’est dans ce scénario que les premiers débats publics au sujet de la construction de logements sociaux au Brésil ont eu lieu. Toutefois, dans un contexte de libéralisme économique, l’intervention du gouvernement dans ce dossier fut mal reçue par les élites du pays. On estimait que cette interférence de l’État pouvait représenter une concurrence injuste avec le marché du logement établi et que l’offre d’habitations aux ménages à faibles revenus devait demeurer dans les mains du secteur privé. Malgré un contexte de refus d’une interférence majeure de l’État dans ce dossier, quelques actions pionnières ont vu le jour. C’est le cas des villes ouvrières (vilas operárias), conçues par les hommes d’affaires du secteur industriel afin de loger ses employés à proximité des usines, et qui comptaient sur des allègements fiscaux de l’État pour sa construction. Ou encore, les initiatives de quelques gouvernements locaux, telles les municipalités de Rio de Janeiro et de Recife, qui ont pris en charge la production d’à peine quelques dizaines de logements. Dans l’ensemble, l’investissement public fut très limité et la quantité d’unités produites était insuffisante pour soulager la crise (Bonduki, 2013).

Cortiço.

Cortiço.

Ce n’est qu’au début des années 1930 que l’État brésilien démontre une volonté de production et de financement pour les logements sociaux. Le gouvernement populiste du président Getúlio Vargas a inauguré l’utilisation des fonds de pension des travailleurs pour la construction de ces logements, ce qui a contribué à la production de 140 000 unités entre 1937 et 1964. Cependant, ce premier pas en avant n’a pas signifié un revirement majeur. Les employés formels en ont bénéficié, tandis que la grande masse de travailleurs informels a dû continuer à résoudre elle-même, sans l’aide de l’État, son problème d’hébergement. Leur sort se résumait donc à louer des chambres insalubres dans le cortiços, à habiter dans les favelas, ou encore, à acheter un terrain dans les lotissements en périphérie des grandes villes et construire eux-mêmes leurs propres maisons. De plus, les chiffres démontrent que ceux qui étaient éligibles à accéder aux logements subventionnés par les fonds de pension provenaient, pour la majorité d’entre eux, de la classe moyenne ou étaient des cadres supérieurs. Ainsi, les premières expériences d’intervention de l’État brésilien dans la question du logement social n’étaient pas inclusives ni universalistes, et ses effets s’éloignaient d’une résolution du problème du logement, car les ménages les plus affectés par le déficit furent négligés par cette politique (Azevedo et Andrade, 2011).

La Banque nationale du logement

La Banque nationale du logement (BNH) fut un des plus importants et emblématiques organismes publics créés par la dictature militaire au Brésil qui suivit le gouvernement Vargas de 1964 à 1985. Pendant ces deux décennies d’existence, autour de 4,5 millions d’unités de logement furent construites et subventionnées. La source de financement provenait surtout du Fonds de garantie pour temps de service (FGTS) constitué par des dépôts mensuels de 8% déduits obligatoirement des rémunérations des salariés formels. Dans un contexte de croissance économique, connu comme le « miracle brésilien », l’augmentation de l’emploi formel a fait bondir le capital disponible par la banque, la seule entité autorisée à administrer ce fonds.

La BNH fut l’organisme central de cette politique de logement à l’échelle nationale. Son instauration suggère une réponse des autorités militaires à l’énorme crise du logement qui progressait dans un contexte d’intense urbanisation du pays. Mais elle s’avère également comme un instrument pour obtenir le soutien de la population dans un contexte de dictature et de répression politique, et comme un mécanisme pour freiner l’avancement de l’idéologie communiste dans les couches populaires. La gestion de la banque fut rigide, centralisée et autoritaire, sans la participation de la société civile et irrespectueuse des particularités régionales d’un pays de dimensions continentales comme le Brésil. Les logements produits par la BNH sont souvent rappelés comme des désastres au point de vue architectural – en fonction de la piètre qualité des bâtiments et de la reproduction des grands ensembles d’habitation standardisés – et urbanistique – dû à la localisation des projets en périphéries urbaines généralement peu ou mal desservies en infrastructure. De plus, tant au niveau de la représentation numérique d’unités construites, qu’au niveau de la qualité des logements et de leurs localisations dans le tissu urbain, encore une fois, la classe moyenne fut privilégiée (Azevedo, 1988 ; Cardoso, 2002 ; Maricato, 1987).

La crise économique qui s’abat sur le pays dans les années 1980 a provoqué une hausse du taux de chômage et par conséquent, une augmentation du défaut de paiement des frais de financement de logement, ce qui a fait baisser vertigineusement les ressources de capital de la BNH. En 1986, le gouvernement décide de mettre fin à la BNH, et la Caisse économique fédérale (CEF), une banque publique qui opère dans le système commercial, devient la nouvelle gestionnaire du FGTS. Dans les années qui suivent, on observe un désengagement de l’État par rapport au dossier du logement social. Au niveau du palier fédéral, cette contraction s’impose due à la consolidation d’une rationalité néolibérale basée sur l’austérité et sur la contention des dépenses publiques dans les programmes sociaux. En plus, ce renoncement exprimait l’alignement aux modèles de gestion de l’économie imposés par le Fonds monétaire international et par la Banque mondiale, principaux créanciers du Brésil durant le moment de crise. Malgré le manque de ressources, quelques gouvernements provinciaux et municipaux ont inauguré des projets de logement social. Le cas le plus emblématique fut celui de la municipalité de São Paulo qui au début des années 1990 a créé le programme de mutirão, défini comme un système d’aide mutuelle dans le but d’organiser les communautés à faibles revenus à construire leurs propres logements (Denaldi, 1997 ; Sachs, 1999). Un autre exemple est celui de la municipalité de Rio de Janeiro, qui a développé un projet pionnier de construction de logements sociaux dans les quartiers centraux de la ville à partir de la réhabilitation de bâtiments patrimoniaux (Monteiro, 2015). Cependant, ces expériences furent très ponctuelles et insuffisantes par rapport au déficit de logement qui s’est endurci à la fin du XXe siècle en fonction de la crise économique et des mesures d’austérité.

Favela Rocinha. Photo de Chensiyuan 2010 CC.4.0

Favela Rocinha. Photo de Chensiyuan 2010 CC.4.0

Le programme Minha Casa Minha Vida

L’arrivée du Parti des travailleurs (PT) au pouvoir en 2003 a représenté un souffle d’espoir pour les organismes et mouvements sociaux pour la lutte au droit au logement. Après des années de négligence par rapport au dossier de l’habitation, ils s’attendaient que l’État brésilien écoute leurs revendications dans le but de constituer une politique solide de logement social avec une large participation de la société civile et qui éviterait de reproduire les erreurs commises par la BNH. Dans les premières années du gouvernement du président Lula da Silva, l’élaboration du Plan national de logement (Planhab) signalait la consolidation de cet idéal. Le texte final de ce plan, avec les lignes directrices de la politique de logement, fut conçu après plusieurs mois de rencontres et discussions entre spécialistes du thème et membres de la société civile et fut fortement influencé par les revendications portées par les mouvements sociaux (Bonduki, 2008).

Minha Casa Minha Vida em João Monlevade. Photo de Ministério do Desenvolvimento Social e Agrário 2015.

Minha Casa Minha Vida em João Monlevade. Photo de Ministério do Desenvolvimento Social e Agrário 2015.

Toutefois, en mars 2009, le gouvernement fédéral annonçait le lancement du programme Minha Casa Minha Vida (MCMV), en traduction libre « Ma maison ma vie », dans lequel les principes s’éloignaient de façon substantielle des dispositions présentées par le Planhab. Le programme fut formulé « à porte close » par le gouvernement fédéral avec 11 entrepreneurs des plus importantes compagnies du secteur de la construction au Brésil. Dans le contexte de la crise internationale qui a suivi l’effondrement du marché des subprimes américains et qui menaçait de frapper l’économie brésilienne, le lancement du MCMV fonctionnerait comme une mesure d’apaisement de ses effets, avec l’injection de milliards de dollars du FGTS dans la production de logements. Historiquement, la stimulation du secteur de la construction fut utilisée comme stratégie d’État pour faire bouger l’économie. Au Brésil, bien plus qu’un mécanisme pour freiner les effets de la crise, le MCMV doit être interprété comme une politique de fort attrait populaire, visant le renforcement du soutien du public pour le PT dans un contexte de baisse de la popularité du parti en fonction de l’escalade des allégations de corruption autour de lui.

En sept ans, le programme a signé 4,2 millions de contrats pour la construction de logements (2,7 millions furent livrés jusqu’à avril 2016), ce qui représente presque la totalité de la production de la BNH pendant deux décennies d’existence. La grande autonomie des promoteurs privés et des entreprises du secteur de la construction, par rapport à l’État, a une influence significative dans la conception des projets financés par le MCMV. Dans sa poursuite pour la réduction des coûts, principalement dans la construction de logements ciblant les ménages à très faibles revenus, les entrepreneurs cherchent à employer des matériaux de qualité inférieure et à bâtir des projets standardisés. En plus, le choix des terrains incarne une logique marchande de localisation des projets dans l’espace urbain : les terrains destinés aux ménages à faibles revenus sont souvent les moins coûteux et localisés dans les quartiers plus distants des centres-ville et déficients en matière de services publics et d’infrastructures. Ainsi, le MCMV reprend les erreurs commises par la BNH dans les années 1960 et 1970, en renforçant la ségrégation sociospatiale et en amenant les pauvres en périphérie des grandes villes (Cardoso, 2013 ; Bonduki, 2009).

Les plus récentes études démontrent que cette dernière intervention de l’État en matière d’habitation s’avère tragique pour plusieurs ménages qui ont bénéficié d’un foyer, surtout les plus pauvres. D’énormes distances pour se rendre au travail ou encore le manque de services à proximité obligent les familles à vendre, à sous-louer, ou simplement à abandonner leurs nouvelles maisons. C’est alors le retour aux favelas ou cortiços dans les quartiers mieux situés, étant la seule alternative pour plusieurs. Et ceux qui restent doivent cohabiter avec la violence des trafiquants de drogues ou des milices armées qui s’installent dans les nouveaux bâtiments et qui imposent leurs propres règles et leurs propres lois (Amore, Shimbo et Rufino, 2015).

Conclusion

Le déficit de logement au Brésil n’est pas qu’un problème technique et encore moins que le résultat d’un défaut de la planification urbaine. Il est surtout l‘expression d’une concentration foncière, qui génère des revenus extraordinaires pour une élite qui profite de la spéculation de terres (Maricato, 1979 ; Bolaffi, 1979). Avec son influence sur les décisions de l’État, ce groupe privilégié a historiquement bloqué toutes sortes de réformes capables de promouvoir la démocratisation de l’accès à la terre urbaine, même si plusieurs lois et réglementations au niveau juridique traitent de ce sujet. La question du déficit du logement au Brésil est ainsi d’ordre politique et l’application de ces lois est l’une des principales revendications de plusieurs mouvements de sans-toits qui existent aujourd’hui partout dans le pays.

*João Carlos Monteiro est étudiant au doctorat en études urbaines à l’UQAM.

Bibliographie

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