Autoroute 30, pont à péage. Eltiempo10, 2012 C.C.3.0

Autoroute 30, pont à péage. Eltiempo10, 2012 C.C.3.0

Capsule thématique

Les effets des péages urbains

Auteur : Alexandre Wolford* (novembre 2016)

 

 Présentation

Que ce soit dans une optique de financement ou pour contrer la congestion, les péages urbains sont de plus en plus considérés par différents intervenants. Ce regain d’intérêt par les autorités pour la tarification du transport est perceptible depuis quelques années. Le péage, peu importe sa finalité, « consiste à faire payer l’automobiliste pour entrer ou circuler dans une zone ou dans un corridor, en permanence ou à des heures particulières, celles de plus forte demande » (Raux, 2007). Dans la plupart des cas, cette mesure vise à rendre l’automobiliste imputable du coût social total qu’il provoque, c’est-à-dire l’ensemble des coûts privés et externes (ex : la pollution) que son déplacement impose comme production de biens et services (CEMT, 2005). Les péages de Singapour (1975, 1998) Londres (2003) et Stockholm (2006) ont, de par leurs résultats, incité des dizaines de villes à tenter la même aventure. En ce sens, la pratique rejoindrait enfin la théorie alors que plusieurs experts ont vanté leurs mérites à commencer par les économistes.

Dès les années 1970, des recherches ont été menées sur les impacts des péages urbains (Vaughn, C. M., 1971). D’abord réduits, les travaux sur le sujet se sont depuis multipliés. L’implantation de péages n’étant pas limitée à un pays et vu un intérêt croissant à son égard, le Forum International des Transports, sous l’égide de l’OCDE, a même tenu une table ronde en 2010 sur la tarification de la congestion (OCDE, 2010). Néanmoins, en dépit des nombreuses études menées sur le sujet, la mise en application des péages urbains et les impacts, positifs comme négatifs, qu’ils provoquent, en connaissance de cause ou non, sont encore peu connus et débattus. Les effets directs ont fait l’objet d’une attention certaine, étant bien souvent à l’origine des objectifs de ce type d’infrastructures. Ainsi, il a été établi que l’introduction du péage urbain a rapidement conduit à faire diminuer du tiers la congestion à Londres et dans une moindre mesure celle de Stockholm (Raux, 2007). Ce sont toutefois les effets indirects des péages urbains qui demeurent à être connus. Nous nous attarderons dans les prochains paragraphes aux impacts économiques et autres qui ont été soulevés jusqu’à présent par les chercheurs. À noter que les péages les plus souvent considérés se déclinent selon le modèle à cordon, qui s’active lorsqu’une limite est franchie, et de zone, qui cible la circulation au sein d’une zone délimitée.

Un effet économique relatif

L’implantation d’un péage en zone urbaine peut laisser entrevoir plusieurs effets économiques, particulièrement dans le cas des péages de congestion qui assurent la plus grande efficacité économique (Meloche, 2012). Notons toutefois que le dynamisme général sera affecté de manière peu significative (Transport for London, 2006). Qui plus est, les coûts-bénéfices liés à un péage urbain vont varier d’une ville à l’autre en fonction de la congestion, de la mise en œuvre du système et de l’état des transports publics. Il s’agit d’un élément essentiel à considérer afin de pouvoir estimer avec précision les impacts possibles d’un péage urbain. Plus la congestion est élevée et plus les gains de temps et de compétitivité seront importants et justifieront l’implantation d’une tarification avec des bénéfices supérieurs aux coûts. Cela explique pourquoi le péage de Stockholm a engendré plus de coûts que de bénéfices contrairement à celui de Londres, bien que dans les deux cas les résultats aient été au rendez-vous (Raux, 2007). Dans ces conditions, une ville moyenne peut être réticente à implanter un péage urbain si au final, la croissance économique qui est appréhendée (comprenant une hausse des emplois et de la compétitivité) occasionne aussi une augmentation des coûts (liée au système, au transport collectif supplémentaire, etc.). Pour réduire les coûts et les impacts avec une efficacité égale ou supérieure, une ville peut préférer une tarification du stationnement à celle des routes ou combiner les deux (Paulhiac-Scherrer, F., J.-M. Meloche et C. Morency, 2015). Cette dernière alternative est toutefois priorisée, certains effets attribués à la tarification du stationnement étant remis en question.

D’emblée, une augmentation des emplois peut être anticipée suivant l’introduction d’un péage urbain. Dans un contexte où le péage parviendrait à réduire la congestion de moitié, une croissance des emplois de 10 à 30 % a été constatée dans les grandes agglomérations américaines (Hymer, 2009). Ensuite, il est possible de considérer le financement qui est obtenu par l’utilisation du péage qui offre la possibilité d’investir dans différents projets et infrastructures de transports en ville (Broussolle, 2012). Ces investissements vont stimuler la création d’emplois, mais dans un ratio tel que l’impact final est négligeable (Doll et Schaffer, 2007). De même, si la diminution de la congestion automobile permet nécessairement des économies intéressantes, elles seront aussi accompagnées d’une hausse des coûts du transport en commun vers lesquels vont se tourner plusieurs automobilistes conduisant à un faible apport économique (Prud’Homme et Kopp, 2007). Le gain en temps et en argent fait par les automobilistes empruntant le péage est en effet confronté à la perte de temps (mais au gain en argent) de ceux qui recourent désormais au transport public. Dans certains cas tels la ville de Stockholm, la congestion a tout de même été réduite à un niveau quasi optimal permettant d’augmenter l’attractivité de la ville; l’atteinte de ce niveau est toutefois rarissime.

Londres. Maude Cournoyer-Gendron 2011.

Londres. Maude Cournoyer-Gendron 2011.

Des impacts, réels ou appréhendés, sont aussi soulevés en ce qui a trait aux entreprises. Le péage risque d’affecter les décisions logistiques des entrepreneurs, car si ses effets théoriques, dont la réduction du temps de transport, s’avèrent positifs pour une entreprise, il demeure perçu comme un coût supplémentaire (Tillema et al., 2008). La tarification de l’usage de la route peut amener de multiples compagnies à modifier leurs choix de desservir les zones urbaines (Quak et van Duin, 2010). Jusqu’à présent toutefois, il faut retenir que les effets analysés sont ambigus. Des modèles spéculent sur une concentration des firmes en regard à des coûts de transports réduits, alors que d’autres pointent vers une déconcentration (Tillema et al., 2008). À tarifs fixes, la majorité des entrepreneurs n’envisagent pas de changer leurs opérations économiques telles que le transport de marchandises en milieu urbain. Une tarification variant selon la route et le temps aurait par contre des effets plus importants à commencer par une réduction des déplacements d’affaires. Si une minorité d’acteurs considèrent revoir la localisation de ses sites, la tarification aurait surtout pour effet de faire augmenter la facture des livraisons pour le consommateur (près d’une entreprise sur deux l’envisagerait) et d’abandonner certains secteurs moins névralgiques. La disparition de plusieurs petites compagnies peut aussi être à prévoir (Doll et Schaffer, 2007). Néanmoins, le péage peut aussi procurer des économies d’échelles aux entreprises implantées à l’intérieur de la zone urbaine tarifée. Prenant pour exemple une ville de 250 000 habitants, Le Boennec nous permet d’entrevoir un effet de réduction dans l’utilisation des surfaces occupées par les firmes ce qui amènerait ces dernières à augmenter le nombre d’échanges avec leurs voisines et de là leur compétitivité (Le Boennec, 2014).

Une infrastructure profitable à la ville monocentrique

L’application d’un péage routier à une ville qui repose principalement sur un seul centre-ville peut engendrer deux types de réactions qui vont se produire en fonction du contexte propre à chaque ville. D’une part, le péage peut permettre une plus grande densification et un étalement réduit de son rayon urbain (Kilani, 2015). Les coûts de transports ont un effet important sur la localisation de la population. Plus ils augmentent et plus un rapprochement vers le centre urbain peut se constater. Dans le cas d’un péage à cordon, ce dernier génère une plus forte attractivité pour se localiser à l’intérieur des limites tarifées. De même, un péage linéaire tarifant la distance parcourue incitera la population à se localiser près du centre où se situe leur emploi. L’augmentation de la densification peut atteindre 9.3 % pour une application optimale d’un péage (Le Boennec, 2014). Le recours à ces deux types de tarification conduit non seulement à une densification de la ville, mais aussi à une libération accrue de l’espace, moins de routes étant nécessaires. À l’inverse, l’application d’un péage urbain peut aussi conduire au développement des emplois en périphérie et à une accélération de l’étalement urbain créant alors une diminution de l’attractivité pour la ville (Raux, 2007; Meloche, 2012). Enfin, notons que si à court terme, le péage urbain affecte positivement ou négativement la population et les entreprises en fonction de leur localisation, il faut considérer que les « gagnants et perdants » de ce dispositif vont s’atténuer au fil et à mesure qu’elle ne sera plus un nouveau choc, mais plutôt un facteur supplémentaire à considérer dans les décisions économiques du quotidien (OCDE, 2010).

En ce qui concerne la ville polycentrique, les effets d’un péage urbain peuvent être partiellement effacés. L’existence de plusieurs centres contrairement à la ville monocentrique amène différentes alternatives au conducteur créant des centres gagnants ou perdants et complexifiant fortement l’implantation du système. Pour cette raison, les chercheurs préfèrent généralement analyser les péages dans un modèle urbain reposant sur un seul centre (Le Boennec, 2014).

Péage sur la M25, région métropolitaine de Londres. Highways England, 2011. C.C.2.0

Péage sur la M25, région métropolitaine de Londres. Highways England, 2011. C.C.2.0

Un gain environnemental

Au-delà de ces divers effets économiques, il existe d’autres retombées découlant des péages urbains qui sont d’abord et avant tout de nature environnementale et sociale. Un péage de congestion efficace favorise une augmentation de la vitesse de l’automobile et une diminution de leur nombre ce qui amène un impact urbain positif pour ce qui est de la pollution engendrée et du nombre d’accidents routiers (Prud’Homme et Kopp, 2007). Pour une ville d’importance, une réduction de centaines de tonnes de CO2 peut être constatée quotidiennement amenant des retombées directes (selon une tarification du carbone) et indirectes (moins de répercussions sur la santé). Avec un péage kilométrique équivalant à 10 % du coût d’un déplacement, une diminution de 8.9 % des émissions peut être appréhendée pour une ville (Le Boennec, 2014).

Un effet généralisé?

La tarification des routes vise sans contredit à ramener une certaine équité entre les différents usagers des modes de transports. En vertu du principe du droit d’usage, celui qui bénéficie d’une infrastructure devrait payer pour son utilisation et limiter le coût social au non-utilisateur. L’atteinte de cet objectif déprendra toutefois de l’application des recettes des péages et de la configuration de ces derniers (Santos et Fraser, 2006; Raux, 2007). Alors que l’aspect régressif du péage a été et continue d’être clamé par plusieurs intervenants (Richardson, 1974; Meloche, 2012), les recherches tendent de plus en plus à présenter un impact socio-économique aussi progressif. Lorsque les recettes sont investies dans le transport collectif par exemple, le recours au péage peut s’avérer une infrastructure progressive (Meloche, 2012). De manière générale, des effets inégalitaires sont possibles et se font principalement au profit des citadins qui occupent les noyaux urbains (Souche et Mercier, 2013). En effet, la redistribution se fera d’abord vers les secteurs centraux où l’accessibilité aux emplois risque le plus de s’accroître. Néanmoins, si des transferts de richesses peuvent être constatés, un péage est aussi susceptible d’engendrer une augmentation des inégalités économiques à l’échelle régionale d’une ville. Dans le cas du péage à cordon, ce sont ceux qui sont situés à l’extérieur de la zone tarifée qui vont être pleinement affectés.

Un péage c’est bien, deux…

Notons enfin que ces impacts sur le dynamisme urbain peuvent être amplifiés dans le cas de péages à cordons multiples. En prenant comme cas la région parisienne, il a ainsi été démontré que l’ajout d’un second cordon accentue l’efficacité du premier cordon de 10 % en termes d’augmentation du surplus social, soit dans ce cas-ci les revenus que les ménages affectés par le cordon ne dépensent pas et qui représentent une valeur ajoutée (De Palma et al., 2011). Ces multiples cordons ont un effet combiné qui diminue la taille de la ville et des habitations, mais aussi la surface de routes, le coût des terrains et du transport. Si l’effet du second cordon est marginal en termes de congestion et de distance automobile parcourue, il est intéressant de tenir compte des multiples répercussions socio-économiques qui peuvent en découler.

*Alexandre Wolford est étudiant à la maîtrise en études urbaines à l’INRS-UCS

Bibliographie

Broussolle, D. (2012). Le péage urbain : une source de financement acceptable ? Revue française d’administration publique (144), 965-979.

CEMT (2005). Réforme ferroviaire et tarification de l’usage des infrastructures. Paris : CEMT.

De Palma, A. et al.(2011). Cordon pricing in the monocentric city: theory and application to Paris region. Recherches économiques de Louvain, 77, 105-124.

Doll, C. et A. Schaffer (2007). Economic impact of the introduction of the German HGV toll system. Transport Policy, 14 (1), 49-58.

Hymel, K. (2009). Does traffic congestion reduce employment growth? Journal of Urban Economics, 65, 127-135.

Kilani, M. (2015). Congestion, péage et localisation des ménages. Dynamiques Régionales (IWEPS), (3), 8-14.

Le Boennec, R. (2014). Externalité de pollution versus économies d’agglomération : le péage urbain, un instrument environnemental adapté ? Revue d’Économie Régionale & Urbaine, 3-31.

Meloche, J.-M. (2012). Le financement du transport en commun dans la région métropolitaine de Montréal. Pour un meilleur équilibre entre la ville et ses banlieues. Montréal: Observatoire sur la mobilité durable.

OCDE (2010). Mettre en œuvre la tarification de la congestion, France : Éditions OCDE.

Paulhiac-Scherrer, F., J.-M. Meloche et C. Morency (2015). Pour une connaissance et une gestion renouvelées du stationnement : Propositions théoriques et méthodologiques. Montréal: Conseil régional de l’environnement de Montréal.

Prud’Homme, R. et P. Kopp (2007). Le péage de Stockholm : évaluation et enseignement. Revue Transports, 443, 346-359.

Quak, H. et J.H.R. van Duin (2010). The influence of road pricing on physical distribution in urban areas. Procedia Social and Behavioral Sciences, 2(3), 6141-6153.

Raux, C. (2007). Le péage urbain. Paris: La Documentation française.

Richardson, H.W. (1974). A Note on the Distributional Effects of Road Pricing. Journal of Transport Economics and Policy, 8(1), 82-85.

Santos, G. et G. Fraser (2006). Road Pricing: Lessons from London. Economic Policy, 21(1), 263-310.

Souche, S. et A. Mercier (2013). Quelle mesure des inégalités urbaines ? L’exemple d’une simulation d’un péage de cordon à Lyon. Rech. Transp. Secur., 13(1), 63-73.

Tillema, T. (2008). Firms: Changes in trip patterns, product prices, locations and in the human resource policy due to road pricing. Dans Verhoef, E. et al. (dir.), Pricing in road transports: A Multi-Disciplinary Perspective (pp. 106-127). Cheltenham: Edward Elgar Publishing Limited.

Transport for London (2006). London Travel Report 2006. London: Group Transport Planning and Policy.

Vaughn, C. M. (1971). Toll roads: economic impact. Kentucky: University of Kentucky.