Capsule thématique
Théories de changement de comportements appliquées au transport
Auteure : Angélique Bojanowski* (mars 2018)
Introduction
Le transport touche à toutes les sphères du développement durable : économique, sociale et environnementale. L’utilisation de la voiture est liée à de nombreux problèmes de santé (mode de vie sédentaire, qualité de l’air, accidents), à des problèmes environnementaux (changements climatiques, salinisation des sols et de l’eau, etc.) et à des problèmes économiques (investissements massifs dans les infrastructures et services, deuxième plus grosse dépense après le logement pour les familles). Dans une optique de réduction des effets négatifs associés au transport, plusieurs solutions sont envisagées pour réduire l’utilisation de l’automobile. En effet, le choix du mode de transport est, la plupart du temps, une habitude. Puisqu’il s’agit d’une habitude, il est très difficile d’inciter à un changement de comportement chez l’individu puisque plusieurs barrières psychologiques et environnementales sont présentes. Il existe cependant deux types d’interventions : les interventions dites « dures » et celles dites « douces ». Alors que les interventions dites « dures » visent à changer le comportement de transport des individus en modifiant leur environnement, soit en ajoutant des infrastructures pour les modes de transports dits durables, soit en taxant l’utilisation de l’automobile (taxe sur le pétrole, stationnement payant, péage, etc.), les interventions dites « douces » visent un changement volontaire de comportement chez les individus à l’aide de campagnes d’informations. Ces dernières sont basées sur des théories de changement de comportements qui vous seront présentées ici.
Comment explique-t-on un comportement de transport?
Il existe une multitude de modèles qui tentent d’expliquer le comportement de transport. Nous aborderons ici seulement les plus utilisés. L’un de ceux-ci est basé sur la théorie du comportement modifié (Theory of Planned Behavior) d’Ajzen (1991). Selon cette théorie (voir figure 1), un comportement est le résultat unique de l’intention de réaliser ce comportement. L’intention est quant à elle influencée par les normes subjectives, les attitudes et la perception de contrôle (Bamberg, Fujii, Friman, & Gärling, 2011).
La perception de contrôle d’un individu est influencée par des facteurs externes (par exemple les ressources pécuniaires, les circonstances dans lesquelles se déroule l’action, le temps, la dépendance vis-à-vis d’autrui) et internes (par exemple les aptitudes, habiletés, informations, motivations, habitudes, et expériences passées). Ces facteurs vont faciliter ou au contraire entraver le comportement visé par l’individu. Cette variable est donc particulièrement importante dans la prédiction d’un comportement. Par exemple, une personne ayant peu d’informations sur l’horaire et le trajet de la ligne d’autobus près de chez elle et prenant très rarement le transport en commun aura tendance à percevoir qu’elle ne peut pas prendre l’autobus pour se rendre quelque part.
Les attitudes, positives ou négatives, peuvent être le reflet des expériences passées ou d’informations détenues à propos de l’expérience d’autrui. Les attitudes sont le reflet des croyances que l’individu a sur le fait de réaliser un comportement. Par exemple, une personne peut être convaincue que se rendre en vélo quelque part est une bonne chose pour sa santé ou l’environnement, mais ne le fait pas, car elle croit que le faire ne sera pas agréable (il peut pleuvoir, elle peut suer et devoir prendre une douche sur le lieu d’arrivée, être perçue comme une personne pauvre ou, tout simplement, être inconfortable, etc.).
La norme subjective se réfère aux pressions sociales perçues par l’individu à réaliser ce comportement (figure 1). Par exemple, est-ce que le comportement « prendre sa voiture pour aller chercher une pinte de lait au dépanneur du coin » est perçu comme un comportement positif ou négatif de la part de sa famille, ses amis ou de la population en général? Cela peut aussi faire référence à des perceptions telles que : ma famille attend de moi que j’aie une voiture, mes amis attendent de moi que j’aie une voiture.
Cependant, se déplacer, comme d’autres comportements, est un comportement répétitif qui n’est pas forcément réfléchi avant chaque déplacement. C’est pour ses raisons que ce modèle a été fortement critiqué puisqu’il balaye complètement l’effet de l’habitude. C’est à Verplanken et ses collaborateurs (1998; 1994) que nous devons l’intégration de l’habitude dans les modèles de comportements de transports. En effet, plus un comportement est répété, moins l’individu réfléchit avant de réaliser le comportement et plus celui-ci devient habituel. En transport, cela se traduit par « si je dois me déplacer, je vais choisir le mode de déplacement que j’utilise le plus sans réfléchir aux autres possibilités ».
Prenons, par exemple, une personne qui arrive dans une autre ville. Elle ne connait ni l’offre de transports en commun ni l’état du trafic. Avant son premier déplacement, son choix sera influencé par les attitudes envers les divers choix qui s’offrent à elle, les normes, et la perception de contrôle sur son choix de mode de transport. Son comportement résulte donc un tant soit peu d’une réflexion. Au fur et à mesure des jours, elle se déplace en faisant des choix semblables, le comportement devient habituel et la personne passe moins de temps à chercher des informations pour réaliser son déplacement.
Lors de la mise en place d’interventions dites « douces » le concept d’habitude est extrêmement important puisque l’individu ayant formé une habitude de transport est peu réceptif à de nouvelles informations sur les choix qui s’offrent à lui. Ce serait donc seulement lors d’un changement de contexte qu’un individu verrait les nouvelles informations et pourrait réévaluer ses intentions (Verplanken & Wood, 2006). S’il est réceptif aux informations, il pourra alors changer volontairement son comportement.
Comment un comportement change-t-il?
On ne change pas de comportement du jour au lendemain en une seule étape, mais plutôt en plusieurs stades. Un changement de comportement peut prendre plusieurs années; la dimension temporelle est donc très importante ici. Le modèle transthéorique de changement (MTC; Transtheoretical Model) est un modèle développé par deux psychologues lors d’une étude comparative de plusieurs études en psychologie comparant les fumeurs voulant changer de comportement volontairement (« self-changers »)(Proschaska et al., 1997). Les auteurs ont identifié dix processus pouvant prédire un succès dans le changement de comportement volontaire et six stades de changement. Le modèle permet de décrire le processus de changement de comportement avec une dimension temporelle plutôt que de simplement dire que tel individu a arrêté de fumer par exemple.
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Le stade de précontemplation
Les individus se situant dans ce stade ne désirent pas changer de comportement, soit parce qu’ils sont peu ou pas du tout informés des conséquences négatives de leur comportement, soit ils ont essayé à plusieurs reprises de changer et ont échoué, ou ne veulent tout simplement pas changer de comportement. Ces individus, les « précontemplateurs », sont souvent résistants au changement et sont résistants à la prise d’informations. Ce faisant, des méthodes explicatives amenant un changement de comportement ne sont pas adaptées aux individus se trouvant dans ce stade.
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Le stade de contemplation
Ces individus ont l’intention de changer de comportement dans le futur. Contrairement aux précontemplateurs, ils sont au courant des avantages que peut leur apporter un changement de comportement. Cependant, ils sont également très conscients des désavantages. Ces individus sont donc ambivalents et peuvent se retrouver dans ce stade pendant une longue période de temps. Ils ne sont pas réceptifs aux programmes d’intervention leur demandant d’agir rapidement.
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Les stades de préparation et d’action
Les individus au stade de préparation sont prêts à changer de comportement dans un futur très proche. Ils sont très renseignés et ont en général un plan d’action. Ces individus sont réceptifs aux programmes d’intervention axés sur l’action puisqu’ils recherchent activement des solutions et des manières de changer de comportement. C’est à ce stade que les individus essaient des solutions. Ces solutions peuvent être symboliques, c’est-à-dire que les actions menées le sont surtout pour réduire les dissonances cognitives des individus et pas forcément pour régler le problème directement. Par exemple, si un individu pense qu’il doit changer son comportement pour être plus « vert », il peut, au lieu de prendre son vélo, choisir une autre action « verte » comme recycler. Il traite ainsi sa dissonance cognitive, mais pas le comportement problématique lié au transport. Pour que les chercheurs puissent vraiment parler d’action et que les individus soient considérés au stade d’action, ils doivent avoir fait des changements significatifs. Il ne suffit pas d’avoir acheté un vélo pour qu’on puisse dire que la personne utilise les transports actifs : il faut aussi qu’une partie de ses déplacements journaliers soient faits à l’aide de ce mode, par exemple.
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Le stade de maintenance
Après avoir fait des changements significatifs dans leur comportement, les individus maintiennent le comportement voulu et ont confiance en leurs capacités de ne pas retourner en arrière et de continuer à avoir le comportement voulu. Ce stade peut durer plusieurs années. Cependant, il est toujours possible de rechuter durant ce stade. Une fois que le comportement devient habituel et qu’il n’y a plus de risques de rechutes vers le comportement indésirable, on peut considérer que les individus sont sortis du cycle de changement de comportement.
Le modèle transthéorique et le transport
Savoir à quel stade de changement un individu se trouve permet de choisir l’intervention la plus efficace pour l’aider à passer au stade suivant. Waygood et coll. (2012) ont examiné le rôle de l’information dans la réduction des impacts du changement climatique dans le domaine du transport. Pour les personnes au stade de la précontemplation, la première étape est l’acceptation que le comportement est un problème et qu’il est de leur responsabilité. Cette acception peut se révéler difficile, car cela touche le transport et les changements climatiques puisque le problème de changement climatique est planétaire. Les impacts sur les individus sont peu visibles ou peu ressentis par l’individu et par ailleurs un changement de comportement individuel vers un comportement plus « durable » aura peu d’impact à l’échelle planétaire (Swim et al., 2009; E. O. D. Waygood & Avineri, 2010; O. Waygood et al., 2012). Il est donc important de se concentrer sur les impacts plus locaux (Anable, Lane, & Kelay, 2006; Swim et al., 2009) ou de contextualiser l’information selon un objectif social (Daziano, Waygood, Patterson, & Kohlovà, 2017).
Par la suite, les individus entrent dans le stade de contemplation. À ce stade, les individus sont conscients des avantages et des inconvénients et peuvent rester dans cette phase très longtemps. Il est donc important de se concentrer sur les avantages qu’amène un changement de comportement, mais aussi sur la manière dont ils peuvent faire ce changement. Il est important de donner des outils qui permettent d’augmenter le sentiment de capacité de réaliser le comportement voulu et de lever certaines barrières psychologiques.
Lors du stade de préparation, les informations doivent être plus concrètes, (Chorus, Arentze, & Timmermans, 2006; De Young, 1996) mais doivent aussi faire appel aux normes descriptives. En effet, indiquer aux individus que X % individus de leur communauté ont un comportement de transport durable peut être efficace à aider l’individu à passer à l’action (Nolan, Schultz, Cialdini, Goldstein, & Griskevicius, 2008; Schultz, 1999; Schultz, Nolan, Cialdini, Goldstein, & Griskevicius, 2007).
Les individus qui sont au stade de l’action posent des actions concrètes pour changer leur comportement, mais ont besoin d’avoir une rétroaction sur leurs actions pour augmenter leur sentiment de capacité et renforcer leurs décisions. Cette rétroaction vise à éviter une rechute et de plutôt faire passer les individus au stade de maintenance. Certains outils ont été développés concernant les émissions de CO2 (O. Waygood et al., 2012), les individus peuvent être appelés à utiliser des applications ou montres qui permettent de mesurer l’activité physique (vélo et/ou marche) par exemple (Bopp et al., 2016).
Conclusion
Les théories de comportements de transport nous permettent de comprendre pourquoi les programmes actuels de changement volontaire de comportement de transports ont une efficacité relative. Changer de comportement est un processus complexe qui comprend plusieurs étapes pouvant s’étirer sur plusieurs années. Cependant, les interventions sont relativement efficaces (Bamberg & Rees, 2017) lorsqu’elles sont accompagnées d’un changement de contexte tel qu’une amélioration des infrastructures pour les modes de transports alternatifs.
Bibliographie
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Anable, J., Lane, B., & Kelay, T. (2006). Review of public attitudes to climate change and transport: Summary Report. Report commissioned by the UK Department of Transport.
Bamberg, S., Fujii, S., Friman, M., & Gärling, T. (2011). Behaviour theory and soft transport policy measures. Transport Policy, 18(1), 228‑235. https://doi.org/10.1016/j.tranpol.2010.08.006
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Bopp, M., Sims, D., Matthews, S. A., Rovniak, L. S., Poole, E., & Colgan, J. (2016). There’s an app for that: development of a smartphone app to promote active travel to a college campus. Journal of Transport & Health, 3(3), 305‑314. https://doi.org/10.1016/j.jth.2016.02.007
Chorus, C., Arentze, T., & Timmermans, H. (2006). Observing the making of travel choices under uncertainty and information: validation of travel simulator. Présenté à 85th annual meeting of the Transportation Research Board, Washington, D.C.
Daziano, R. A., Waygood, E. O. D., Patterson, Z., & Kohlovà, M. B. (2017). Increasing the Influence of CO2 Emissions Information on Car Purchase. Présenté à The 96th Annual Meeting of the Transportation Research Board, Washington, D.C.
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Nolan, J. M., Schultz, P. W., Cialdini, R. B., Goldstein, N. J., & Griskevicius, V. (2008). Normative Social Influence is Underdetected. Personality and Social Psychology Bulletin, 34(7), 913‑923. https://doi.org/10.1177/0146167208316691
Proschaska, J., Redding, C., Evers, K., Glanz, K., Lewis, F., & Rimer, B. (1997). The transtheorical model and stages of change. Health behavior and health education: theory, research, and practice. 2nd ed. San Francisco (CA): Jossey Bass, 60‑84.
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Swim, J., Clayton, S., Doherty, T., Gifford, R., Howard, G., Reser, J., … Weber, E. (2009). Psychology and global climate change: Addressing a multi-faceted phenomenon and set of challenges. A report by the American Psychological Association’s task force on the interface between psychology and global climate change. American Psychological Association, Washington.
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Verplanken, B., Aarts, H., van Knippenberg, A., & van Knippenberg, C. (1994). Attitude Versus General Habit: Antecedents of Travel Mode Choice1. Journal of Applied Social Psychology, 24(4), 285‑300. https://doi.org/10.1111/j.1559-1816.1994.tb00583.x
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Waygood, O., Avineri, E., & Lyons, G. (2012). The Role of Information in Reducing the Impacts of Climate Change for Transport Applications. In T. Ryley & L. Chapman (Éd.), Transport and Climate Change (p. 313‑340). Emerald.
*Angélique Bujanowski est étudiante au doctorat en aménagement du territoire et développement régional à l’Université Laval.